Jouer à mentir pour mieux dire vrai : paradoxe hypnotique essentiel

Un homme entre dans une boutique de costumes et demande au vendeur le costume le plus laid qu’il ait. Ce dernier, interloqué, lui montre timidement un ensemble marron à rayures violettes. L’homme l’essaie, s’observe longuement dans la glace et déclare avec un sourire sincère : « C’est exactement ce que je voulais, enfin quelque chose qui me ressemble. » Le vendeur ne saura jamais si son client se moque, s’exhibe ou se libère.

Ce qui se dit ici n’est peut-être pas ce qui veut être dit. Et pourtant, c’est justement ce détour, ce jeu avec le faux, qui donne accès à une vérité plus subtile, plus intime. Le langage, quand il déraille volontairement, cesse d’informer pour commencer à transformer. Le mensonge, dès lors qu’il est conscient, devient une stratégie d’évitement fertile, une faille dans les murailles de la logique consciente. Le « faux » y devient vrai, non par ce qu’il décrit, mais par ce qu’il mobilise. C’est là que commence le paradoxe hypnotique : mentir pour mieux dire vrai.

L’étrange révèle parfois la vérité que l’on tait. (Image générée par DALLE d’OpenAI)

Le trouble du vrai, ou la faille nécessaire

Il arrive que la parole dite « vraie » s’enlise dans la glaise du raisonnable. L’exactitude rassure, le factuel rassasie, mais parfois, c’est dans l’écart, dans la torsion du mot, dans la dissonance volontaire que surgit une vérité plus dense. Lorsque le discours s’enroule autour d’un faux assumé, une faille s’ouvre. Et dans cette faille, les défenses tombent, le masque du moi logique se fissure. Le mensonge, dans sa version stratégique, n’est plus un échec moral mais un outil chirurgical. Il déroute, désoriente, et par là même, révèle les véritables contours d’un soi enfoui.

Les résistances du moi : forteresses et passages secrets

Le moi conscient se construit souvent comme une citadelle. Il trie, filtre, rationalise. Face au thérapeute, il se mobilise. Il s’érige en bastion méthodique pour fuir le vertige de l’inconnu intérieur. C’est ici que le langage glissant intervient. En feignant l’absurde ou en épousant l’illogique, le thérapeute infiltre les failles de la forteresse. Le mensonge apparent est alors un passe-partout. Il ne s’oppose pas, il contourne. Ce n’est pas un marteau, mais une clef dissimulée dans un sourire énigmatique. Lorsque le patient s’attend à la rigueur du miroir, c’est le reflet déformé qui le touche, qui l’atteint, et le désarme.

La parole fausse comme geste thérapeutique

Une parole fausse, bien placée, n’a rien d’un accident. Elle est un scalpel subtil. Elle n’éclaire pas, elle aveugle volontairement l’œil rationnel pour que d’autres formes de perception s’éveillent. Le corps, l’affect, le mythe personnel s’invitent dans la scène. Ce n’est plus le sens logique qui prime, mais une syntaxe souterraine. Il y a dans la parole fausse un geste d’offrande. Elle dit : « Et si ce n’était pas là que ça se jouait ? ». À ce moment précis, un frisson traverse l’habitude du patient. Il sent que quelque chose se déplace sans en avoir encore la forme.

Quand l’absurde provoque une bascule

Parfois, tout est si solidement cadenassé qu’aucun mot vrai ne suffit. Alors entre en scène la provocation. Une absurdité lancée comme une gifle douce. Un énoncé volontairement contraire, déplacé, même ridicule. Et pourtant, à cet endroit s’ouvre une brèche. L’esprit veut comprendre, réagit, résiste, puis bascule. L’incohérence apparente brise les chaînes de la logique habituelle. Le patient ne peut plus s’accrocher à ses repères cognitifs. Il chute. Et dans cette chute, une réorganisation intérieure s’opère. Ce n’est pas une destruction, c’est une mue.

L’hypnose, théâtre du paradoxe

En hypnose, le paradoxe n’est pas un piège, mais un pont. Le langage y devient fluide, délibérément ambigu. Le faux est semé avec soin, parce qu’il parle à une autre scène – celle du corps, de la mémoire implicite, du mythe familial. Le sujet hypnotique n’a pas besoin de croire en ce qui est dit. Il suffit qu’il y entre. Qu’il le traverse. Comme un acteur s’approprie un texte qui n’est pas le sien, pour y découvrir une vérité cachée. Le mensonge en hypnose est souvent une métaphore déguisée. Et dans cette métaphore, on retrouve des fragments de soi longtemps dissous dans l’oubli.

Mensonge symbolique, vérité incarnée

L’efficacité thérapeutique du faux ne tient pas à sa véracité externe, mais à sa capacité d’évoquer un vécu interne. Le langage trompeur n’est pas là pour abuser mais pour détourner l’attention du gardien rationnel. Il touche le corps, ravive la trace, réveille l’émotion. À ce niveau, mentir, c’est parler vrai – mais à une autre instance du sujet. Une instance qui ne s’embarrasse pas d’exactitude, mais de résonance. Le vrai ressenti ne supporte pas toujours le vrai dit. Il a besoin d’un détour, d’un biais, d’un leurre même, pour se dévoiler sans se figer.

La stratégie du paradoxe dans la relation thérapeutique

Le thérapeute qui ose le langage paradoxal ne ment pas dans une logique de manipulation. Il offre un miroir de travers, une parole de biais, pour permettre au patient de se voir autrement. Ce n’est pas simplement une technique, c’est un acte relationnel fort. Le paradoxe crée un espace d’incertitude fertile. Il suspend les évidences et ouvre la voie à une recomposition du sens. Dans cette suspension, le patient est libre de revoir ses fondations. Il n’y est pas contraint par le vrai, il y est invité par l’étrange. Et l’étrange, c’est souvent soi-même sous un autre angle.

Quand le langage fléchit, le symbole surgit

Le langage rigide échoue souvent là où le symbole, lui, prend feu. Un mot glissant, une phrase illogique, une image improbable déclenchent une résonance. Ce n’est pas le sens qui frappe, mais le choc affectif du non-sens. Dans ces moments-là, le symbolique agit. Il ne convainc pas, il transforme. Une phrase comme : « Et si ce que tu refuses de voir te regardait pendant ton sommeil ? » est absurde dans sa structure, mais brûlante dans son impact. Car elle parle à l’invisible. Elle convoque ce qui n’a pas de langue mais une mémoire.

Le faux comme pacte implicite

Il existe une forme subtile de complicité entre le thérapeute et le patient. Une acceptation tacite que tout ne sera pas dit au premier degré. Que certaines vérités ne peuvent être évoquées qu’en les niant, en les retournant, en les habillant de faux. Le pacte n’est pas de croire au mensonge, mais de le suivre pour voir où il mène. Et parfois, il mène là où la pure vérité ne pouvait accéder. Dans cette construction inversée, le patient découvre sa propre voix, son propre rythme. Il s’approprie le parcours. Et ce qu’il trouve n’est pas une réponse, mais un déplacement.

Le jeu sérieux du changement

Jouer avec la vérité, c’est accepter de ne pas tout maîtriser. C’est entrer dans une danse où chaque pas déplace les repères, chaque geste modifie la scène. Le thérapeute devient alors un chorégraphe du sens, un artisan de l’ambigu. Il ne cherche pas le contrôle, mais l’ouverture. Dans ce jeu, le patient cesse d’être un problème à résoudre pour devenir un mystère à rencontrer. Et dans cette rencontre, le changement ne se décrète pas, il s’incarne. Il devient acte, mouvement, souffle.

Là où le mensonge devient vérité

Une rue déserte, une lumière blafarde, un homme s’arrête devant une vitrine vide. Il lit l’inscription peinte à la main : « Ici, on ne vend que ce qui n’existe pas ». Il entre. À l’intérieur, des objets sans usage, des mots suspendus, des regards échappés. C’est là, dans cet espace sans réalité tangible, qu’il trouve ce qu’il cherchait sans jamais le nommer. Parce que parfois, ce qui n’existe pas en surface est plus vrai que tout ce qui est. Le mensonge, comme ce lieu, devient alors un tremplin vers l’inavouable, un sas vers le changement profond. Il ne dit pas « voilà ce que tu es », mais il murmure : « Et si tu étais aussi cela ? ».

Conclusion ouverte : L’hypnose comme invitation

L’hypnose ne promet pas la vérité. Elle trouble, elle détourne, elle floute. Elle montre moins qu’elle ne suggère. Mais dans ce flou, quelque chose d’intime s’éclaire. Le mensonge y est un outil, parfois une provocation, toujours une invitation. Non pas à fuir la réalité, mais à l’élargir. À l’habiter autrement. Ce n’est pas en révélant tout qu’on guérit, mais en apprenant à voir au-delà du visible. À écouter les